FRANÇOIS AVARD
Le blogue de François Avard,
Porte-Parole assigné à résidence
Je me suis proposé à tenir un journal de bord et vous invite à lire le processus de réflexion vécu lors de mon assignation…
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Blogueux, blogueuses,
Ceci n'est pas vraiment un blogue: il n'y aura pas de dialogue. Juste un mini monologue d'Avard assigné à résidence. Résultat: vous perdrez deux fois moins de temps en me lisant.
Ouais, ça fait 24 heures que cette aventure a démarré. 10e édition d'État d'Urgence. Cinq jours de manifestival, de rencontres entre les arts, la rue et le public.
De mon côté, c'est un premier 24 heures confiné chez moi. Ça fait quoi d'être obligé de rester chez soi? Quand il fait un temps de cul comme aujourd'hui, ça fait du bien. (Note pour moi-même: suggérer à l'ATSA d'organiser la 11e édition d'État d'Urgence en juillet.)
Mon sort n'est pas bien différent des gens de la rue. Ils sont confinés chez eux, eux aussi, toute l'année. Chez eux, c'est la rue. Chez eux, pas de châssis doubles à repeinturer! Ils peuvent se compter chanceux! «Y connaissent pas leur bonheur!», comme dirait ma mère. (C'est de l'ironie.)
Donc, j'étais absent hier soir lors de l'ouverture de l'événement. Mais j'ai des espions. Ma demande vidéo qui s'adressait au maire Gérald Tremblay d'amnistier tous les itinérants au prise avec des contraventions n'a pas reçu le «Yes we can!» retentissant dont je rêvais de la part du maire. «On va continuer d'y travailler», a-t-il répondu en substance. Moi, quand j'ai pas envie de travailler sur un texte mais qu'on me harcèle pour que je le livre, c'est aussi ce que je réponds: «J'y travaille.» Alors je sais ce que ça vaut, ces réponses bidons... Ce qui est gênant de la part du maire, c'est qu'en prenant son monde pour des caves, c'est comme s'il admettait être élu par des caves. Ça serait le fun de le faire mentir...
Je croyais que mon assignation à résidence allait me priver de voir Catherine Major en spectacle. En fin de compte, c'est Thomas Helmann que je n'aurai pas pu voir. Madame Major, indisposée, a été remplacé à pied levé par monsieur Hellman et je trouve ça cool de sa part. Merci, monsieur Elman! (Vous aurez remarqué que je ne sais pas comment orthographier Helmmaan, ce qui ne lui enlève rien au niveau du talent...)
Ce soir, on est jeudi. À la télé, il y a «La Fièvre de la danse», version française de «The Fievre of the danse». Vous connaissez pas votre bonheur d'être à la rue... Mais supposons que vous avez envie d'autre chose, je vous suggère d'aller traîner du côté du site internet suivant:
C'est Manon Dubois, de la Maison du père, qui m'a fait parvenir ce lien. En arrivant sur cette page, vous verrez «biographies de sans-abri». Cliquez sur «Consultez-les pour découvrir leur histoire» et, comme moi, découvrez la petite histoire de ces gens de la rue. C'est écrit simplement, de courts textes d'une franchise percutante, et ça fait mieux comprendre comment ces gens se retrouvent à la rue. Surtout, en y pensant bien, on réalise qu'on n'en est jamais bien loin...
À demain,
avard
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Dès après la performance d'Yves Lambert, mon espionne qui s'avère aussi l'une des organisatrices de l'événement me laisse un message téléphonique dythyrambyque. Tellement dythyrambyque qu'il faut 3 i grecs pour exprimer la dythyrambyance qui y règne. Le fun qu'il y a sur le site d'État d'Urgence, paraît qu'on a jamais vu ça. C'est comme un orgasme, mais en mieux.
Moi, le tata assigné à résidence, je ronge mon frein.
Pour me changer les idées, je lis et relis des biographies d'itinérants sur le site de la Maison du père. (www.sans-abri.com)
S'il y a un point qui revient souvent dans la petite histoire des sans-abri, c'est que leur vie a commencé du mauvais pied. Puisque je suis un artiste doté du minimum requis d'imagination pour gagner ma croûte, j'imagine alors ma fille, dans 30 ans, rédigeant sa biographie sur le site de la Maison du père: «Mon père ne s'occupait jamais de moi. Le reste du monde semblait plus important que moi. Parfois, je ne le reconnaissais même pas lorsque je le croisais dans la maison. J'étais abandonnée. Etc.»
Je prends alors une décision: je me promets de fournir le plus bel anniversaire à ma fille ce dimanche. Elle aura deux ans, voici ma chance de lui épargner la rue.
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J'entreprends de m'équiper pour célébrer en grandes pompes. Ce sera dythyrambyque chez moi aussi!
J'ai l'idée d'acheter des balounes pour décorer. Vous savez, celles qu'on gonfle, qu'on met partout pour faire joli puis qu'on fait péter en fin de soirée dans une orgie de «pif», de «paf» et de «pouf» avec tous les autres enfants venus à la fête.
—T'achèteras quand même pas des balounes? me dit ma blonde. —Et pourquoi pas?
—C'est fabriqué en Chine, en caoutchouc industriel. Je me demande s'ils n'ajoutent pas de la mélamine dans leur caoutchouc! Pour transporter tes balounes chinoises jusqu'ici, les bateaux consomment du pétrole soudanais qui tue au Darfour. Il te reste de la place dans ta conscience pour ajouter le Darfour sur le tas?
—T'es ben excessive!?! lui rétorque-je. Moi, j'm'en fous. Je vais aller au magasin à 1 piasse pis je vais en acheter 500! Il est hors de question que ma fille devienne itinérante!
Je dois avouer que ma blonde n'a pas tout de suite compris le lien entre «500 balounes» et «devenir itinérante». Elle me connaît heureusement assez pour savoir qu'entre «500 balounes» et «devenir itinérante», dans ma tête il y avait une longue explication que je lui épargnais.
Devant mon insistance (j'étais en boule par terre, inquiet, quémandant mes anti-anxiolitique), ma blonde mit de l'eau dans son vin: pas de problème avec les balounes, mais trouves-en qui soient en caoutchouc naturel et équitable.
Où j'étais entre vendredi et dimanche midi? Sur la route, bouffant de l'essence, cherchant des balounes équitables pour que ma fille ne se retrouve jamais célébrée au parc Émilie-Gamelin. L'équation de ma blonde était simple: il y a des capotes en caoutchouc naturel, à moi de trouver des balounes conçues naturellement par des artisans bien payés qui tirent le latex d'arbres à caoutchouc qui ne subissent aucun assaut d'engrais chimique.
Alors pendant deux jours, j'ai erré d'une boutique à l'autre, à la recherche de balounes équitables et bio.
Avez-vous déjà demandé à une jeune vendeuse à peine pubère de boutiques de cossins d'anniversaires: «Avez-vous ça des balounes équitables?» Moi, si. Désormais.
Je sais, j'étais assigné à résidence. Interdit de sortir de chez moi. Alors pour faire ces courses, je me promenais avec un passe-montagne qui n'a que deux trous pour les yeux. J'étais un peu plus méconnaissable qu'incognito.
Avez-vous déjà demandé à une jeune vendeuse à peine pubère de boutiques de cossins d'anniversaires: «Avez-vous ça des balounes équitables?» avec une cagoule de cambrioleur? Moi, si. Désormais.
Et à tout instant, mon cellulaire sonne. Puisque je roule d'une boutique à l'autre, je ne réponds pas. Et quand je prends mes messages, c'est mon espionne qui m'appelle pour me dire: «Y a plein d'ambyance!», «C'est beau à voyr!», «C'est tellement yntense!!»
J'entends ces messages orgasmiques en conduisant ma bagnole avec une cagoule à la recherche de balounes bio. Et je me trouve tata. Je brûle assez de pétrole pour fabriquer assez de balounes pour remplir le stade olympique.
Attention: je respecte la loi. Je me stationne à une intersection pour écouter mes messages téléphoniques de l'Action Terroriste Socialement Acceptable. Ma quête infructueuse de balounes pures me déprime, les messages téléphoniques de l'espionne me foutent le blues et, soudain, on frappe à la vitre de ma voiture. Je me retourne: c'est un policier. Je baisse ma vitre.
—Qu'est-ce qu'y a?
—Je peux vous aider? me demande-t-il, très sérieux.
—Je crois pas. Je cherche des balounes équitables.
Les longues secondes qu'il égraine alors à me regarder me donne à croire qu'il n'apprécie pas ma réponse.
—J'aimerais voir vos papiers, s'il vous plaît. Et voir votre visage.
Zut. J'oubliais la cagoule. Je la retire aussitôt.
—Non, mais ça serait une longue histoire...
—Pouvez-vous la résumer? —Je suis assigné à résidence pour l'Action Terroriste.
Le policier ne se fait pas prier: «Sortez de la voiture, les mains derrières la tête.»
Comment j'ai réussi à ouvrir ma portière les mains derrière la tête, ça, je ne m'en rappelle pas. Tout s'est passé très vite. Surtout, rassurez-vous, j'ai réussi à m'expliquer au policier et j'ai pu revenir chez moi tranquille mais bredouille. J'eus alors une pensée pour tous les Congolais qui se faisaient couper les mains par le colonisateur belge lorsqu'ils revenaient au bercail insuffisamment chargé de caoutchouc. Le regard triste de ma fille me coupe l'âme.
On est rendu dimanche matin, 30 novembre. Ma fille regarde la maison sèche. Sans baloune. Dans ses yeux, je lis: «Tu ne m'aimes pas. J'itinèrerai.»
Soudain, eurêka! Je sais! Je vais acheter des balounes ordinaires, mais on les récupèrera après l'événement pour s'en servir lors des anniversaires suivants! Chouette compromis, considérai-je. J'ai presque envie d'appeler Greenpeace pour avoir leur opinion.
En un temps record, je gonfle 500 balounes. Pendant toute la durée de la fête, j'épie les enfants et m'assure qu'ils n'en crèvent aucun. Oh, j'ai bien dû élever la voix et mettre quelques enfants en punition pour épargner les balounes, mais c'était joli dans la maison.
Dernier message téléphonique de mon espionne en fin de soirée: «Ça y est. C'est terminé. C'était magnyfyque! La fanfare Pourpour a fait lever le party fynal!» Moi, j'en sais rien: j'étais assigné à résidence.
Cette nuit, en essayant de défaire délicatement les noeuds de mes 500 balounes pour les récupérer, je me disais: «Ouin. La prochaine fois, je suggère d'éviter l'assignation à résidence. C'était pas l'idée du siècle.»
À ne pas manquer, à l'État d'Urgence de l'an prochain, les 500 balounes récupérées de François Avard.
avard